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– Les tensions de l’économie mondiale fragilisent les Etats (II)

Une économie de la dette

En dépit de timides signes de rebond, l’économie mondiale ne semble pas au bout de ses peines et risque d’être durablement fragilisée par la flambée du chômage et l’état de santé incertain du système bancaire, selon plusieurs experts. Enhardie par une flopée d’indicateurs meilleurs que prévu, l’administration américaine a claironné « le début de la fin de la récession » tandis que la Chine continue d’afficher une croissance vigoureuse. Rassérénés, les marchés financiers sont repartis à la hausse. « Il y a des signes de décélération de la récession », analyse un ancien haut responsable du Fonds monétaire international (FMI) ayant requis l’anonymat. Pour autant, la situation ne prête guère à l’optimisme et la fin de la récession ne sera pas synonyme de croissance vigoureuse, préviennent les experts. La flambée du chômage constituera un test majeur. Selon l’Organisation internationale du travail, la planète pourrait compter jusqu’à 59 millions de chômeurs supplémentaires cette année par rapport à 2007, soit 31 % de hausse, et la fin de la récession ne devrait pas inverser la tendance. « Dans une économie qui cesse de décliner mais qui progresse faiblement, le chômage continue d’augmenter », prévient François Bourguignon. Conséquence : le revenu des ménages risque de souffrir et de plomber la consommation, un des principaux moteurs de l’économie. La capacité des banques à soutenir le redémarrage de l’économie constitue un autre motif d’inquiétude, notamment en Europe où les entreprises dépendent étroitement du crédit bancaire pour financer leurs investissements (Le Soir, lundi 10 août 2009).

(suite) 6. Les remèdes employés par les banques centrales et les gouvernements:

Face à ces développements dramatiques, les banques centrales et les gouvernements ont cherché à consolider le système bancaire par un ensemble de mesures: garanties d’Etat aux dépôts bancaires, apports en capital (TARP-US) ou nationalisations (UK), assouplissement temporaire des règles comptables, recours à la création monétaire (politique dite de “quantitative easing”) pour renflouer le capital des banques. Par ailleurs, ils ont cherché à stimuler l’activité économique par des baisses de taux d’intérêt, le subventionnement du marché immobilier, des programmes de stimulation (ARRA-US), et des réductions temporaires de taxes. Les gouvernements se sont en outre attaqués à l’évasion fiscale et aux systèmes de boni des traders.

euro1Quelle est la pertinence des moyens employés ?

La lutte contre les paradis fiscaux et la taxation des boni nous apparaissent comme des gadgets et nous ne nous y attarderons pas, mentionnant simplement que la lutte décrétée par des gouvernements aux abois contre les paradis fiscaux est parfaitement sélective, visant notamment un Etat européen à démocratie directe avec lequel les grands Etats ont sans doute un compte politique à régler; il s’agit surtout de faire peur aux contribuables qui seraient tentés de se soustraire à une pression fiscale devenue très forte.

7. La politique de baisse répétée et rapide des taux d’intérêt est contestable. Si elle a sans doute contribué à éviter une catastrophe à court terme en allégeant les charges des débiteurs dans une économie où la dette atteint un montant record ($34 trillion aux EU), elle a pu ne pas tenir compte du temps nécessaire pour que les premières baisses fassent de l’effet, déprimer la confiance des consommateurs, pénaliser les épargnants et les retraités, et alimenter le risque inflationniste. L’efficacité à plus long terme des baisses de taux en situation de credit crunch est nulle, comme l’a montré l’exemple du Japon dans version encore plus agressive avec des taux abaissés sous les 0,5% et des relances qui ont fait flamber le déficit public à plus de 160% du PIB.

euro18. La modification des règles comptables en vue de permettre aux banques de porter à leur bilan des actifs à leur valeur théorique relève du maquillage comptable et vise à maintenir debout un système bancaire branlant dont tous les actifs pourris ou toxiques ne sont pas réellement connus (actifs de niveau 3). Au total, la situation du système bancaire reste fragile. Ainsi d’après certaines sources, Citigroup par exemple aurait une exposition de 135 milliards de USD aux actifs de niveau 3 (ce sont des positions illiquides, cotées de manière très irrégulière, qui n’ont pas de prix de marché et dont la valorisation est basée sur des estimations de la direction de la banque).

9. S’agissant des aides pour renflouer les banques, elles ne permettent pas aux gouvernements de s’assurer que les banques rouvrent réellement le robinet du crédit. L’administration américaine s’est refusée à la nationalisation des banques en difficulté qui aurait permis une surveillance de ces établissements tout en les contraignant à placer les liquidités mises à disposition par l’Etat dans l’économie. Ce dernier est donc aujourd’hui réduit à exhorter les banques à bien vouloir soutenir l’activité du pays, alors qu’elles ont bénéficié d’aides gouvernementales se montant à des centaines de milliards de dollars. En inondant inconditionnellement les banques de liquidités, le nouveau président des Etats-Unis a donc envoyé le mauvais message. Le système financier renoue d’ailleurs déjà avec sa propension naturelle au risque excessif.

euro1Le quantitative easing correspond à de la création monétaire pure et simple en vue d’acheter la dette des banques ou celle de l’Etat. Or, les abondantes liquidités mises en circulation par les banques centrales aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Europe alimentent déjà de nouvelles bulles spéculatives et risquent de provoquer dans un second temps une vaste inflation, même si celle-ci est retardée par, d’une part, le fait que ces sommes ne sont pas injectées directement dans la consommation, et d’autre part, par les puissances forces déflationnistes liées à l’explosion du chômage et à la faiblesse de la demande.

10. Qu’en est-il du subventionnement de l’immobilier?

Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae, qui ont alimenté la machine à prêts douteux, au point que leur faillite coûtera quelques 400 milliards de dollars au contribuable US, continuent, depuis leur quasi nationalisation de 2008, d’être les acteurs majeurs de la titrisation. De ce fait, les risques de refinancement des nouveaux prêts sont intégralement supportés par le contribuable. Et Fannie et Freddie n’ont pas resserré leurs critères d’attribution de crédits. Les apports personnels de 3% restent monnaie courante, et avec le crédit d’impôt, nombre de prêts sont en fait conclus avec apport personnel négatif. En effet, les achats sont subventionnés par l’Etat à hauteur de 8500$ de crédit d’impôt. C’est apparemment peu, mais ce crédit peut abonder l’apport personnel des emprunteurs, ce qui leur permet des effets de levier augmentés. De plus, la quasi nationalisation de la titrisation couplée avec des taux courts de la FED proches de zéro permet aux banques d’octroyer des crédits à des taux maintenus artificiellement bas, ce qui constitue une seconde subvention, bien réelle bien que dissimulée, qui permet aux vendeurs d’accroître leurs marges. Si les programmes de subventions venaient à se tarir, ou si le Trésor se trouvait à court d’argent pour faire face aux obligations de Fannie, Freddie et Ginnie, alors les prix connaîtraient une nouvelle période de baisse, surtout si la nouvelle vague de “resets” contractuels amenait grand nombre de nouveaux biens sur le marché des ventes consécutives à saisie. 

euro111. Les aides directes à l’économie sous forme de stimulus package, qui avaient aussi pour but, dans le cas de l’ARRA, de stabiliser les finances des gouvernements locaux, sont controversées. Un grand nombre d’économistes jugent la reprise de 2009 entièrement artificielle. La dynamique ayant abouti à la crise des subprimes de 2007 n’a nullement été modifiée, et l’apparence de vitalité de l’économie est très largement dûe à l’existence de stimuli gouvernementaux continués. Le rallye haussier récent des marchés financiers a été obtenu en grande partie grâce à des coupes massives dans l’emploi. Mais réduire le personnel et sacrifier les projets de recherche-développement ne va pas dans le sens d’une croissance durable. En dernier ressort, cette dernière est indispensable pour que les marchés financiers puissent continuer à prospérer. Or la qualité de la croissance est actuellement très faible car la croissance de l’offre de crédit provient de l’achat de la dette d’Etat par les banques commerciales plus que de l’apport de crédit au secteur privé en vue de produire des biens.

euro112. Le retour de l’inflation

Le retour de l’inflation n’est plus exclu. Les conditions s’en trouvent de plus en plus réunies. La banque centrale américaine promet d’injecter pour encore longtemps de la liquidité extraordinaire en monnaie. Quant à la banque centrale européenne, elle est confrontée à la faiblesse tout aussi extraordinaire des comptes publics grecs, espagnols, irlandais, italiens, français et autres. Des experts opposent à ces faits la sous-utilisation des chaînes de production et des travailleurs qui font pression sur les prix et les salaires. Mais beaucoup de ces capacités ont été supprimées et ne sont plus disponibles. La baisse marquée des matières premières avait donné une impression de ralentissement général des prix précédemment, mais cet effet se termine. La seule et unique solution pour détruire toute la dette qui a été créé par les banques et les gouvernements à travers le monde est l’inflation. Une baisse massive du niveau de vie serait en effet politiquement impraticable. L’Inflation voire l’hyper-inflation, à terme, est donc sans doute inévitable. Elle pourrait toutefois être précédée d’une période de déflation, c’est à dire d’une chute générale des prix de tous les actifs, une baisse des salaires associée à une récession massive. A cet égard, l’évolution récente de l’indice des prix du fret international (prédicteur de l’activité future) n’est guère rassurante. D’autres possibilités sont une coexistence des deux phénomènes dans la stagflation, ou une inflation générale couplée à des baisses sectorielles de prix et de salaires, ou certains pays de l’eurozone dans l’inflation et d’autres dans la déflation.

13. Le poids de la dette

Comme le mauvais Pharaon en son temps, les gouvernements n’ont rien mis de côté pour les périodes de disette. A présent, ils doivent essayer de faire fonctionner leur magie keynésienne à crédit. Cela les met en position de faiblesse. Pour l’instant, le crédit des gouvernements est encore bon. Les banquiers qui prennent l’argent des gouvernements le leur re-prêtent encore volontiers… Mais les gouvernements n’ont plus de marge de manœuvre. Même sans nouvelles dépenses, la dette d’Etat explosera dans les deux ans à hauteur de 105pc bu PIB en Grande-Bretagne 125pc aux Etats-Unis et dans l’eurozone, et 270pc au Japon. La charge de la dette est plus lourde qu’elle n’était après la seconde guerre mondiale, tandis que les niveaux nominaux en sont similaires. La dette étatique mondiale atteint $45 trillion, soit une augmentation de 250pc en 10 ans. La dette privée aussi est considérable. Même si le taux d’épargne américain se stabilisait à 7% et servait uniquement au remboursement de la dette, il faudrait 9 ans aux ménages pour réduire le ratio dette/revenu au niveau des années 1980s. Les similarités sont frappantes avec la situation du Japon pendant sa “décade perdue”, avec cependant une grande différence: le Japon pouvait rester la tête hors de l’eau parce qu’il exportait dans une économie globale vigoureuse, et qu’il laissait glisser le yen. Mais la moitié des pays du monde ne pourront pas poursuivre cette stratégie en même temps. (à suivre)

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