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– Traité de Lisbonne: le non à l’imposture

Merci l’Irlande!

Les Irlandais ont dit "non" à une large majorité au traité européen de Lisbonne, trois ans après le rejet de la Constitution par les Français et Néerlandais en 2005. Selon les résultats officiels définitifs, le non l’a emporté avec 53,4% des voix, contre 46,6% de "oui". (…) L’Irlande, seul pays européen à avoir soumis le traité européen à un référendum, a rejeté le texte le 12 juin par 53,4 % des voix, précipitant l’UE dans une nouvelle crise institutionnelle. Son sort est devenu encore plus incertain avec le refus par le président Lech Kaczinsky de le signer alors que le traité a été ratifié par les députés polonais. Il a ensuite reçu le soutien de son homologue tchèque Vaclav Klaus. Mais le processus de ratification dans les autres Etats ne s’est pas arrêté pour autant. Le Sénat néerlandais a adopté mardi à une grande majorité une loi ouvrant la voie à la ratification du traité de Lisbonne par les Pays-Bas, après un premier vote favorable par la chambre basse du parlement début juin. Cette approbation est sans surprise, la classe politique néerlandaise étant arrivée à un consensus sur le sujet, alors même que le non néerlandais à un référendum sur la Constitution européenne avait contribué, avec le rejet français, à enterrer ce texte en 2005. Les Pays-Bas sont le 21ème pays à ratifier le texte, censé améliorer le fonctionnement des institutions européennes. En Espagne, le traité a été approuvé le 26 juin par la chambre basse du parlement, le vote du Sénat n’étant plus qu’une question de formalités. Son entrée en application était initialement prévue pour le 1er janvier 2009. Elle sera maintenant au minimum retardée, même si beaucoup de dirigeants espèrent que le traité entrera en vigueur à temps pour les élections européennes de juin 2009. (Sud-Presse, 08-07-2008)

Le processus de création d’une Europe étatique, contraire à l’esprit de ses pères fondateurs, s’est matérialisé dans les années 1990 avec les traités de Maastricht et d’Amsterdam. A partir de là, le processus européen a commencé à soulever un fort scepticisme. La ratification du traité de Maastricht fut laborieuse, avec son rejet par l’électorat danois le 2 juin 1992 et son approbation de justesse (51,05%), malgré les énormes moyens mobilisés en sa faveur, par l’électorat français. Le traité de Nice fut rejeté par les Irlandais en 2001. Le projet de Constitution européenne fut rejeté par les Français et les Néerlandais en 2005. Le traité de Lisbonne, qui conserve l’essentiel du projet de Constitution, est rejeté en 2008 par les Irlandais. Face à ces résistances populaires, les réactions de la classe politique sont toujours les mêmes.

La minimisation : on affirme que le "non" irlandais ne serait qu’un accident de parcours. Les leçons de ce référendum irlandais sont pourtant claires: l’affection, la mobilisation pour le projet européen font défaut au sein des Vingt-Sept. Cela est loin d’être anecdotique. De plus, comme tous les traités européens depuis l’acte fondateur de Rome, en 1957, le Traité de Lisbonne signé par les Vingt-Sept le 13 décembre 2007 ne peut entrer en vigueur qu’après avoir été ratifié par tous les Etats membres de l’Union.

On avance aussi que moins d’un quart de la population d’une île de 4 millions d’habitants bloque la réforme des institutions d’une Union européenne qui en compte près de 500 millions. Mais cet argument ne tient pas, puisque les autres Européens n’ont pas été consultés. Si le vote populaire était généralisé aujourd’hui, un pays de l’UE sur trois au moins voterait non.

Le dénigrement : consulter le peuple serait un exercice inepte, d’une part parce qu’il serait extrêmement compliqué pour le citoyen de saisir tous les enjeux, d’autre part parce que les référendums nationaux serviraient d’exutoire à une population prompte à donner une réponse qui n’est pas nécessairement liée à la question qui lui est posée. Dans le cas irlandais, le camp du "non" serait hétéroclite et sa campagne reposerait sur des interprétations hasardeuses du contenu du traité.

Cette argumentation est le prototype de l’argumentation anti-démocratique. Le principe de la démocratie au suffrage universel est de respecter le vote populaire et de ne pas distinguer entre des classes de citoyens plus ou moins éclairés. Les citoyens ne sont pas des imbéciles. Ils sentent bien, de manière parfois intuitive, où on veut les emmener. Dans la plupart des cas, le débat a été intelligent et informé. Le camp du "oui" est tout aussi hétéroclite que celui du "non", lorsqu’il n’a pas l’homogénéité du conservatisme. Dans le cas irlandais, la population a bien senti que les implications du traité lui feraient perdre tôt ou tard le contrôle de certaines valeurs. La création d’une défense et d’une politique extérieure européennes, par exemple, est bel et bien contradictoire avec la neutralité irlandaise.

Le contournement : partout la ratification parlementaire a été choisie afin d’éviter l’échec dans les urnes.  Et pourtant, 76% des Allemands, 75% des Britanniques, 72% des Italiens, 65% des Espagnols sont favorables au référendum.

Le projet européen devient ainsi un arrangement à l’intérieur de la classe politique. Il n’y a pas meilleur moyen de discréditer jusqu’à la racine, et le projet européen, et la classe politique dans son ensemble ! Les cas français et néerlandais sont particulièrement flagrants puisque dans ces pays le vote populaire a clairement rejeté (à 55% et plus) le projet de Constitution, et qu’il n’a échappé à personne que le traité de Lisbonne reprend l’essentiel de ce projet de Constitution. A partir du moment où le traité de Lisbonne n’est pas substantiellement différent de celui de 2004, demander aux Parlements de désavouer le peuple amoindrit la confiance des citoyens dans le système politique et constitutionnel, porte atteinte à la crédibilité des Parlements, enferme l’Europe politique dans le cénacle des hommes politiques, et lui dénie une véritable légitimité démocratique.

La submersion : une variante de la stratégie de contournement consiste, sous prétexte de davantage consulter les peuples, à fuir en avant en organisant un référendum à l’échelle des Vingt-Sept le même jour. Ainsi les spécificités nationales seraient noyées, et des citoyens situés de part et d’autre d’un continent décideraient du sort des autres sans connaitre ni leur situation nationale, ni leurs valeurs propres, ni leurs arguments spécifiques. Il deviendrait plus facile d’isoler et d’écraser les réactions locales, émanant souvent de petits pays, au processus d’intégration étatique européen. 

Le peuple irlandais, qui a eu la chance d’être consulté, a dit non. Malgré cela, et en dépit du vouloir du peuple, l’Union Européenne continue comme si de rien n’était à être dans l’attente d’une éventuelle solution au "problème Irlandais".Ce n’est pourtant pas ce vote qui crée une crise, mais bien l’acharnement des dirigeants européens à n’en tenir aucun compte.

Face à ce vote et à d’autres du même type, il n’y a qu’une seule orientation démocratique possible : reconnaître que quand le peuple dit non, c’est non.

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